Nouvelle :
M. Sun
L’ombre des hauts bâtiments sur les étroites rues
assez peuplées de minuscules voitures roulant dans les deux sens permettait de distinguer
parmi celles des arbres bien soignés les silhouettes des petites personnes
habillées en couleurs claires. Ils marchaient sur le trottoir d’un pas normal
et de façon ordonnée sans s’entasser. L’ordre et la propreté d’un quartier très
vivant qui attiraient l’attention de n’importe quel étranger. Les mêmes rues où
quarente jours auparavant beaucoup de gens avaient reçu la nouvelle année. Le
calme, le manque de bruits et l’éclatante lumière du soleil faisaient de ce
jour-là un beau début de la semaine.
Une des petites maisons d’architecture
moderne qui bordaient la rue Koshiu-Kaido près du Parc de l’arrondissement de
Shinjuku et Shibuya à Tokio appartenait à mademoiselle Koriu, née au Japon en
1930. Une vielle dame retraitée, encore professeure et traductrice de français.
-
« Bonjour M. Dupuy »,
me dit-elle en ouvrant la porte d’entrée.
-
« Enchanté de vous
connaitre », répondis-je en lui tendant la main.
Assez mince, petite d’allure,
affaiblie par l’âge, Mlle Koriu m’introduisit dans la salle dont la décoration était
neuve. Sa chemise beige clair et son pantalon blanc montraient une silhouette
bien proportionnée quand d’un geste lent de la main elle m’invita à m’asseoir
dans un fauteuil, près d’une petite table. Assise en face elle m’écoutait parler
tranquillement. L’ambiance de toute la maison était aussi calme que charmante
comme son air.
Quand je lui demandai si nous pourrions
commencer la traduction le mercredi suivant, de sa voix basse mais claire elle
me répondit que cela ne serait possible qu’après la fin de sa promenade de visite
au Parc. Elle faisait sa routine d’habitude ce jour de la semaine pour rester
équilibrée. Avant de m’écouter elle continua à parler en m’invitant à connaitre
le Parc. Je lui dit : « D’accord », tout simplement.
Trois cents mètres séparait
la maison de Mlle Koriu du Parc. La statue en bronze d’un animal nous indiqua
l’entrée de l’endroit. C’était un lieu tellement beau. En marchant, le léger vent
qui touchait mon corps amenait l’arôme des différents arbres alignés et ordonnés
par petites zones, des fleurs qui donnaient des touches vivaces dans plusieurs
lieux et de beaucoup de plantes. Tous harmonisaient le paysage de cet immense
jardin au milieu du quartier. La réalisation de notre promenade eut une durée
d’une heure.
Notre retour à la maison fut accompagné d’une
intéressante histoire sur quelques épisodes de la vie du quartier et du pays racontée
par Mlle Koriu.
Le parfum de la salle
semblait celui du Parc. Mlle Koriu signala une chaise près de la table
principale pour me placer. « Je vous en prie » lui dit-je tandis
que j’attendais debout le moment où elle s’assiérait. Pourtant elle ne bougea
pas. Son visage restait inexpressif. Peut-être mon attitude ne fut pas
pertinente, je réfléchissais. Alors, elle sortit de son sac à main un très petit
appareil et d’un doux mouvement appuya son doigt sur un de ses boutons. Quelques
secondes après, M. Sun entra dans la salle.
L’apparition d’un robot fut tellement surprenante.
Il semblait un garçon de couleur crème claire et de taille moyenne. Une
sorte de bosse agrandissait son dos. Ses articulations attiraient mon attention
parce qu’elles étaient plus rondes et grandes que celles d’une personne. La
tête ronde comme une balle laissait détacher une vitre noire rectangulaire à la
position du visage. La texture de tout son corps était lisse et les contours
bien faits. Ses déplacements très plaisants comme ceux d’un danseur classique. Les
mouvements des bras et des mains avaient le charme de ceux d’un chef
d’orchestre. Il pouvait marcher, danser, regarder, écouter et parler. Voilà.
M. Sun vint jusqu’à côté de
Mlle Koriu. Le mouvement de sa tête de haut en bas accompagnait celui de son
visage. Je me demandai si le robot était en train d’examiner la professeure.
Une fois qu’elle retourna à la position initiale, il étendit son bras. Alors, Mlle
Koriu lui remit son léger sac à main. M. Sun se retira avec le sac.
- C’est
une routine. M. Sun est mon meilleur compagnon, me dit-elle.
En buvant un thé aux roses nous commençâmes
la traduction de la nouvelle. En trois heures, nous finîmes la première partie.
Le sourire de Mlle Koriu confirma son bonheur pour le travail fait.
Je lui demandai si nous continuerions le
lundi. Alors, après avoir reçu son affirmation de la tête j’informai de mon retour
à l’hôtel Shirakawo pour finir quelques affaires avant mon départ prévu dans vingt
jours.
Il était 14 h 20 du lundi
quand j’arrivai à la rue Koshiu-Kaido. Une voiture de la police était arrêtée près
de la porte de Mlle Koriu. Elle semblait contrariée. L’expression de son visage
indiquait quelque chose d’étrange. Elle m’expliqua qu’elle n’était pas
tranquille à cause de la présence des agents de la police.
-
Voici, l’inspecteur Okada
qui mène l’enquête sur un vol, affirma-t-elle.
Moi, je ne comprenais pas bien. Contemplant
la salle je constatai que tout était en ordre sauf deux agents qui écrivaient
des notes ou remplissaient des formulaires.
L’inspecteur m’interrogea. Il voulait savoir
mes renseignements, les motifs de mon arrivée à Tokio et s’il existait quelque relation
avec la traductrice. Ses annotations furent la dernière activité faite chez
Mlle Koriu.
-
Est-ce que je peux vous
aider ? commentai-je.
Alors elle me remercia, s’assit et commença à
me raconter ce que venait de découvrir et de notifier les agents de la police. Ils
avaient trouvé dans la maison un sac à main contenant des affaires de Yoko, sa
voisine. Depuis cinq mois, elle avait déposé une plainte parce qu’elle devait
présenter dans un bureau du gouvernement certains papiers qui étaient dans ce
sac.
Mlle Koriu m’avoua qu’elle avait besoin
d’engager un avocat parce que le sac avait été trouvé dans sa maison et qu’Okada
lui avait suggéré de rester chez elle pour éviter des complications. Évidemment,
elle devait rester à disposition de la justice. Du fait que c’était une nouvelle
situation, elle ne savait pas quoi faire.
Je lui conseillai d’appeler quelqu’un de sa
famille pour l’aider, mais malheureusement elle me confirma qu’elle avait perdu
le contact avec le seul parent lointain qui peut-être vivait dans l’île.
-
Ne vous inquiétez pas.
Donnez-moi toute l’information de votre parent pour que je puisse le chercher,
lui indiquai-je.
À ce moment-là, M. Sun entra dans la salle,
se dirigea vers la table principale et prit un petit cahier qu’il mena à une
autre salle de la maison. Mlle Koriu et moi, l’observâmes.
Quelques jours passèrent sans
aucune nouvelle. Mlle Koriu fut amenée trois fois au Commissariat par la police
à cause de quelques papiers qu’elle devait apporter, de la déclaration de
certains détails de ses habitudes et d’un examen médical.
Convaincu de l’innocence de sa cliente,
l’avocat la défendit fièrement pendant tout le procès. Pourtant, Mlle Koriu restait
chez elle préoccupée.
La diffusion du nom et de l’ancien domicile à
l’inspecteur permit finalement de trouver le parent lointain qui vivait avec sa
famille dans un quartier au nord de l’île.
En ce qui concerne la situation de Mlle Koriu, l’inspecteur signala
qu’il était sur le point de découvrir le voleur et d’expliquer le fait.
Le fort esprit de la traductrice qui avait
consacré tout le temps à la nouvelle lui permit de ne pas penser à la
malheureuse situation. Nous finîmes la traduction selon notre plan.
Un jour avant mon départ, Okada rendit visite
à Mlle Koriu pour lui communiquer la résolution du juge. Les paroles du
policier à la traductrice restituèrent son calme. Il commença à lire :
« le 12 juillet 2016 Nishio Koriu sortit faire quelques courses. Trente
minutes plus tard M. Sun sortit aussi de la maison et prit le sac à main étant
dans la voiture ouverte de Yoko Matsubara. Elle était rentrée chez elle pour prendre
sa carte d’identité avant de partir faire des démarches. Le robot entra chez
Hishio Koriu pour garder le sac à main dans une armoire où il resta jusqu’à sa
découverte. Puisque la police trouve le sac et tous les éléments appartenant à
Yoko Matsubara lesquels furent restitués et puisque Hishio Koriu, ayant
quelques problèmes de mémoire montre être la titulaire de son auxiliaire M. Sun,
le voleur, il faut que Hishio Koriu paye la somme de 3000 euros. Par ailleurs,
à partir d’aujourd’hui, M. Ishito Lee est le responsable de la garde de Hishio
Koriu et de son auxiliaire technologique. Signé à Tokio, le 10 mars
2017 ».
Pendant que le taxi roulait dans les rues
entourées des bâtiments très modernes vers l’aéroport, je regardais les
silhouettes des gens portant des vêtements et des chapeaux claires qui marchaient
de façon ordonnée dans la ville de Tokio.
Juan C. Deslous - IESLV - PF - 2017
Juan C. Deslous - IESLV - PF - 2017